Fiche 1-2 : Comment organiser l’espace et acquérir des terres pour conserver une capacité de production agricole ?
Dispositifs juridiques
Version actualisée le 1/11/2024
Pour conserver une capacité de production de denrées alimentaires, les collectivités territoriales (CT) disposent d’instruments d’aménagement foncier rural.
Les CT devraient normalement agir conformément au plan régional de l’agriculture durable (PRAD, Art. L. 111-2-1 c. rur.), élaboré conjointement par le préfet de région (Etat) et le président du conseil régional (CT), qui fixe les orientations de la politique agricole et agroalimentaire de l’Etat dans la région, et « précise les actions qui feront l’objet prioritairement des interventions de l’Etat et des régions ». Cependant, si le PRAD prend en compte le SRADDET et le SDAGE, il ne s’impose pas directement aux documents d’urbanisme (PLU et SCOT) ; il est juste « porté à connaissance » lors de leur élaboration ou de leur révision. A ce faible effet contraignant, s’ajoute le fait qu’en pratique, il semble que peu de PRAD ont vu le jour et sont utilisés.
L’aménagement foncier rural consiste traditionnellement à organiser le regroupement de parcelles agricoles et à aménager l’espace attenant (chemins, bâtiments, ouvrages hydrauliques…) pour améliorer « les conditions d’exploitation » agricole et forestière (Art. L.121-1 c. rur. et suivants).
Une perception plus moderne de l’aménagement rural peut également être défendue : elle consiste pour les CT ou l’Etat à pouvoir acquérir des terres agricoles (dans des conditions relativement limitées) pour les préserver et les attribuer en fonction de certaines priorités de politique publique et ainsi influer, sans rien imposer, sur les modalités d’exploitation (par exemple, agriculture biologique, vente directe ou circuit court).
Dans cette fiche, nous présenterons ces deux conceptions de l’aménagement rural, qui renvoient à trois points principaux.
Plan de la fiche
- L’amélioration des conditions d’exploitation agricole et forestière par les communes, les intercommunalités et les départements ;
- Les acquisitions de terres agricoles réalisées par toutes les collectivités territoriales ;
- La gestion des terres acquises par toutes les collectivités territoriales.
- A souligner : peuvent avoir un impact sur l’aménagement foncier les actions conduites en matière de voirie par les CT (par ex. pour les départements Art. L. 3213-3 et 4 CGCT) ou pour la gestion de leur domaine (par ex. pour les départements Art. L. 3213-1 CGCT). Vu leur généralité, ces compétences n’ont pas été intégrées aux présents développements.
1. L’amélioration des conditions d’exploitation agricole et forestière par les communes, intercommunalités et départements
Les commissions d’aménagement foncier communales ou intercommunales regroupant des représentants de la ou des communes concernées, des agriculteurs, des propriétaires fonciers et de l’Etat sous la direction du Conseil départemental, définissent des orientations d’aménagement foncier.
Ces orientations concernent les trois champs traditionnels de l’aménagement foncier rural : l’organisation de la distribution des parcelles (Art. L.123-1 à 35 c. rur.); l’échange et la cession amiable (Art. L.124-1 à 13 c. rur.); et la mise en valeur des terres incultes (Art. L.125-1 à 15 c. rur.).
Selon les Art. L. 125-1 et suivants c. rur., toute personne physique ou morale (donc toute commune ou communauté de commune…) peut, sans préjudice des dispositions relatives au contrôle des structures, demander au Préfet de région l’autorisation d’exploiter des parcelles susceptibles d’une mise en valeur agricole, incultes ou manifestement sous-exploitées depuis au moins trois an, si aucune raison de force majeure ne peut justifier cette situation. Sur demande du Préfet, le Conseil départemental peut alors saisir une Commission départementale de gestion du foncier qui se prononce sur l’état d’inculture ou de sous-exploitation manifeste du fond ainsi que sur les possibilités de mise en valeur agricole ou pastorale de celui-ci. Le Conseil départemental charge ensuite une commission d’aménagement foncier communale ou intercommunale de déterminer les parcelles qui devront être remises en valeur et d’organiser la consultation des propriétaires concernés. L’outil, encore souvent peu connu et mobilisé par les collectivités, peut s’avérer utile pour limiter les friches agricoles, l’artificialisation des sols et pour promouvoir une activité agricole locale.
- Pour aller plus loin : Exemple d’utilisation du dispositif par le département des Pyrénées orientales en lien avec la Chambre d’agriculture
- A souligner : même si ce n’est pas l’objectif premier de cette disposition, pourrait être mobilisé dans un objectif de reconquête des terres agricoles, l’aptitude du maire à contraindre un propriétaire à entretenir tout ou partie d’un terrain non-bâti ou à procéder d’office à leur exécution aux frais du propriétaire ou de ses ayants droit (Art. L. 2213-25 CGCT).
2. Acquisitions – Toutes les collectivités territoriales
Les CT disposent d’outils opérationnels lorsqu’elles décident d’acquérir du foncier agricole.
Les CT peuvent procéder elles-mêmes à l’acquisition dans les situations prévues par la loi :
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- Pour la « Protection et la mise en valeur des Espaces Agricoles et Naturels Périurbains » (Art. L. 113-15 c. urb. et suivants), le département ou les autres CT avec l’accord du département bénéficient d’un droit de préemption du (Art. L.113-24 et L.113-25 c. urb. ; également Art. L. 1112-6 CG3P).
- Pour la protection des Espace Naturel Sensible (Art. L. 113-8 c. urb.), le département dispose d’un droit de préemption (Art. L. 113-14, L. 113-25 et L. 215-1 c. urb. ; également Art. L. 1112-6 CG3P).
- Pour l’acquisition de terrains destinés à la création ou à l’aménagement de jardins familiaux, les CT ou EPCI compétents bénéficient d’un droit de préemption (Art. L.216-1 c. urb.).
- Pour constituer des réserves foncières, l’Etat, les CT et EPCI disposent d’un droit de préemption (Art. L.221-1 c. urb.).
- Pour récupérer des biens vacants et sans maîtres (Art. L. 1123-1, L. 1123-2, L. 1123-3 et L. 1123-4 et L. 2222-20 CG3P).
- Pour contribuer à la préservation de la ressource en eau potable: les communes et groupements de communes qui contribuent à la préservation de la ressource en eau potable (Art. L. 2224-7 CGCT), peuvent obtenir de l’Etat (arrêté préfectoral) un droit de préemption des surfaces agricoles sur un territoire délimité en tout ou partie dans l’aire d’alimentation de captage en eau destiné à l’alimentation humaine (Art. L.218-1 c. urb. depuis la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019).
- Pour aller plus loin : dans une décision du 12 février 2024, le Conseil d’Etat valide ce droit de préemption et rejette le recours de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles d’Île-de-France (FRSEA IDF) visant à annuler le décret d’application explicitant les contours de ce droit (Art. R 218-18 c. urb : conditions de la mise à bail ou la cession d’un bien acquis par le titulaire du droit de préemption pour préserver la qualité des ressources en eau destinées à la consommation humaine) pour la préservation de la ressource en eau du 10 septembre 2022 (Conseil d’État, 1ère chambre, 12/02/2024, n° 468822)
- A souligner: les CT ou leurs groupements, mais encore les conservatoires régionaux d’espaces naturels peuvent bénéficier d’aides financières de la part des Agences de l’eau qui mènent une politique foncière de sauvegarde des zones humides approuvée localement par le Comité de bassin (composé de représentants des collectivités locales concernées, des services de l’Etat, et des usagers).
De façon plus générale, l’Etat, les CT et leurs groupements, ainsi que les établissements publics disposent d’un droit d’acquisition immobilier soumis au droit civil (Art. L. 1111-1 CG3P).
Ils peuvent aussi acquérir des immeubles et des droits réels immobiliers par expropriation dès lors qu’une opération est déclarée d’utilité publique (Art. L. 1112-2 CG3P). Cette procédure est conduite dans les conditions fixées par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (art. L. 11-1 c. expro.).
Pour procéder à ces acquisitions, les CT peuvent souvent recourir aux sociétés d’aménagement et d’établissement rural (SAFER, Art. L. 141-5 c. rur.). Dans ce cas, sera conclue une convention de veille foncière afin d’organiser un portage foncier et mettre en réserve les terres jusqu’à ce qu’un preneur adéquat soit trouvé (Art. L. 141-2 c. rur.).
- Pour aller plus loin : consultez le rapport de Terres de Liens “ Le portage foncier agricole : levier pour une agriculture en transition ?”
[https://ressources.terredeliens.org/les-ressources/le-portage-foncier-agricole-rapport-3]
- Pour aller plus loin : La loi dite “Sempastous” du 23 décembre 2021 a renforcé le rôle des SAFER dans un objectif de transparence et de régulation du marché relatif au foncier. Afin de faciliter les installations et le renouvellement des générations en agriculture, la loi a ainsi créé dans le code rural un contrôle administratif des cessions de parts et d’actions des sociétés agricoles géré par les SAFER et le préfet. Des webinaires sont disponibles pour en savoir plus :
[https://www.saferna.fr/webinaire/webinaire-4-la-loi-sempastous-comment-ca-marche/]
- A souligner: d’autres organismes bénéficient d’un droit de préemption propre : lorsque des parcelles se situent en « zones humides », l’agence de l’eau peut les acquérir ou les faire acquérir “à des fins de lutte contre l’artificialisation des sols et de valorisation, notamment agricole” (Art. L. 213-8-2 c. env.). Elle peut le faire elle-même ou via le droit de préemption des SAFER (Art. L. 143-1 c. rur.). En outre, dans le cadre de leurs missions (installation, maintien et la d’exploitations agricoles ou forestières, amélioration de la répartition parcellaire, diversité des paysages, protection des ressources naturelles, maintien de la diversité biologique (Art. L. 141-1 c. rur.) précisées par le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) (Art. L. 312-1 c. rur.), les SAFER bénéficient d’un droit de préemption propre (Art. L. 143-1 c. rur.). Les exploitations ainsi acquises ont vocation à être réattribuées à des exploitants agricoles.
- Gestion des terres acquises – toutes les collectivités territoriales
Une fois propriétaires de foncier agricole, les CT peuvent louer les terres à un exploitant, les exploiter elles-mêmes ou les mettre à disposition.
Les baux ruraux (Art. L. 411-1 c. rur.) des CT sont soumis au statut du fermage, sauf dispositions particulières (Art. L. 411-15 c. rur.).
Lorsqu’elles concluent un bail rural, les CT peuvent inclure des clauses environnementales dans les baux ruraux qu’elles concluent (Art. L 411-27 c. rur.). Ces clauses sont destinées à la préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, des paysages, de la qualité des produits, des sols et de l’air, la prévention des risques naturels, la lutte contre l’érosion des sols (Liste des clauses : Art. R. 411-9-1 c. rur.).
Des baux ruraux « environnementaux » peuvent spécifiquement être conclus dans les zones de rétention temporaires des eaux de crues, les zones de mobilité d’un cours d’eau et les zones stratégies pour la gestion de l’eau (Art. L. 211-12 et -13 c. env.). Dans ces sites, l’autorité publique propriétaire (Etat, Agence de l’eau, CT et leurs groupements), peut prescrire au preneur des modes d’utilisation des sols permettant de prévenir les inondations ou de ne pas aggraver les dégâts potentiels (Art. L. 211-13-I c. env.), d’en préserver ou de restaurer la nature et le rôle (Art. L. 411-27 al 5 c. rur.l ; Art. L 211-13-Ibis c. env.), d’en conserver la nature humide (Art. L. 213-8-2 al. 7 c. env.).
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- Pour aller plus loin : Terres de Liens, Guide : Agir sur le foncier agricole, un rôle essentiel pour les collectivités locales, 21 avril 2015 [https://terredeliens.org/telechargement-guide-collectivites.html].
- Terres de Liens et INRAE : La plateforme collaborative RECOLTE : l’outil vise à enrayer la disparition des terres et à faciliter l’accès au foncier, fiches d’expériences à l’appui.
- Foncier rural